2. Les industries textiles. La Trélitière.
Le tissage.
Après avoir appartenu à l'ordre des templiers jusqu'en 1312, le moulin de la Vieille Ecluse dit aussi de la Trélitière, devient la propriété des Bénédictines des Couëts jusqu'en 1477.
A partir de cette date et jusqu'à la Révolution, il appartient aux Carmélites des Couëts. Le document le plus ancien retrouvé est la copie, le 4 juillet 1689, d'un acte du 9 janvier 1514. Par cet acte, les nobles dames des Couëts rendent hommage au seigneur de la Guidoire, "l'escuyé Gilles de Cheverue […] pour le moulin à eau, chaussée, appelez la vieille escluze qu'elles possèdent."1
Le Vieux moulin et le coteau de la Vieille écluse, hier et aujourd'hui
Dès le XIVe siècle, de nombreux tisserands s’établissent à Aigrefeuille et aux alentours : à Vieillevigne, dans la vallée de la Sèvre, …. La force motrice de l'eau est un atout non négligeable pour le fonctionnement des ateliers de tissage mais il faudra attendre l'arrivée de la turbine au XIXe siècle pour que l'énergie produite soit décuplée et vraiment rentable.
Le patrimoine conserve quelques beaux exemples des habitations typiques de tisserands, avec leur avancée caractéristique nommée "apothéis" en Bretagne.
Maison de tisserand à la Trélitière
C'était le seul endroit de la maison bien éclairé par une grande fenêtre et où l'on disposait la table. Dans le reste de la maison, de très petites ouvertures permettaient de conserver un taux d'humidité important pour que le fil ne devienne pas cassant. Parfois, le petit logement était construit sur une cave enterrée, au sol de terre battue, où se trouvait le métier à tisser, dans de parfaites conditions d'hygrométrie. Ce n'est que plus tard que les tisserands ont utilisé des ateliers à l'écart de leur propre logement.
Le village de la Trélitière porte vraisemblablement ce nom en raison de la grosse toile à draps, nommée "treillis" qu'on y confectionnait à partir du lin ou du chanvre.
En 1775, tous les tisserands d'Aigrefeuille se réunissent pour déposer plainte contre un arrêté qui leur porte préjudice en limitant leur liberté d'achat de fils sur le marché de Nantes. L'analyse du document permet de constater que la paroisse fait vivre trente-huit tisserands, fabriquant du coutil, de la toile à drap, de la serge, dont treize demeurent au seul village de la Trélitière. En tout, cela peut représenter une cinquantaine de familles vivant d'activités liées au tissage dans cette localité. 2
Par ailleurs, si l'on en croit ce fait divers paru dans le journal l'Union Bretonne du 17 mars 1872, la laine et la flanelle faisaient également partie de la production. La flanelle est sans doute une flanelle de laine, obtenue par feutrage. On ne signale pourtant pas de moulins à foulon sur la Maine mais il y en avait de nombreux sur la Sèvre et il n'est pas exclu que nos tisserands-marchands l'aient achetée à leurs confrères de Cugand ou de Clisson pour compléter leur stock et le revendre sur Nantes ou même plus loin.
Extrait Presse "L'union bretonne" du 17 mars 1872.
Transcription :
"Vols qualifiés et complicité,
Alphonse Hallaire, François Bertin, Alfred Bachelier et Jean Bachelier comparaissent sous cette accusation.
Les quatre inculpés étaient réunis dans la soirée du 7 janvier au domicile de Jean Bachelier. Hallaire, le premier, émit l'idée de commettre un vol. Bertin et Alfred Bachelier se joignirent à lui. Jean Bachelier trouva le temps trop mauvais pour les accompagner mais il leur fournit deux morceaux de fil de fer pour crocheter les portes. Hallaire, Bertin et Alfred Bachelier partirent donc seuls. Ils arrivèrent tous les trois à laTrélitière, en Aigrefeuille, vers minuit. A l'aide de crochets ils ouvrirent les portes des ateliers de deux tisserands du pays et volèrent de la laine et de la flanelle. Ils essayèrent aussi, en revenant de leur expédition, d'ouvrir le cellier du sieur Clénet [à Château-Thébaud] pour y prendre du vin ; mais ils ne purent réussir. Vers trois heures du matin, ils rentrèrent au domicile de Jean Bachelier. Ce dernier procéda à la distribution des objets volés.
Tels sont les faits qu'on relève à la charge des accusés.
[…] Le Jury rapporte un verdict affirmatif pour les quatre accusés. Il admet toutefois les circonstances atténuantes.
En conséquence la cour condamne les accusés chacun à 2 ans de prison."
NB. Un autre article relatant le même vol dans le journal "Le Phare" donne davantage de précisions : chez le sieur Chiron, l'un des tisserands molestés, il a été dérobé quinze kilogrammes de laine et dix-huit mètres de flanelle, dans son atelier situé à soixante-cinq mètres de sa demeure. Dans l'atelier de l'autre tisserand, le sieur Buron, à une trentaine de mètres de sa maison, on a découpé sur les métiers à tisser deux bandes de flanelle, l'une de quinze mètres et l'autre de dix-huit mètres, et subtilisé un vieux drap.
La teinture.
Certains tisserands disposaient chez eux d'une installation de teinturerie, ainsi celle située près du moulin de la Trélitère bâtie par la famille MABIT sans doute vers 1840. En 1984, on pouvait encore voir, en bordure de la rivière, les ruines des cuves à teinture3. On serait tenté de penser qu'en ces temps reculés, les ingrédients de base étaient naturels. Qu'on se détrompe !
Dans " Le technologiste ou Archives des progrès de l'industrie française et étrangère"4 , paru en 1842, on note que les bains de teinture, selon la couleur souhaitée, peuvent contenir outre des produits comme l'amidon, la graisse de porc ou la térébenthine épaisse, d'autres moins anodins comme la pyrolignite de fer, le sulfate de cuivre, ou l'acétate d'alumine … Le bain est chauffé avec un feu de tourbe ou par des jets de vapeur. Ensuite, il faut fixer les couleurs en utilisant également toutes sortes de produits chimiques.
Le blanchiment des toiles.
D'autres tisserands complétaient leur activité en assurant le blanchiment des toiles. L'opération consistait à enlever au textile sa couleur écrue et à lui donner l'éclatante blancheur caractérisant les productions locales. Outre ses impuretés naturelles, le tissu devait perdre celles acquises lors des différentes transformations de la fibre : rouissage, filature, tissage.
L'artisan mettait les toiles à tremper dans de vastes cuves de bois. Pendant une durée qui pouvait varier de trois à quatre semaines, elles macéraient dans un mélange composé d'eau et de farine de seigle ou de blé noir. Cette opération portait le nom évocateur de "trempe". En moins de huit jours, il se produisait une fermentation accompagnée d'une "odeur difficile à soutenir". Des différentes opérations constituant l'activité du blanchisseur, celle de la "trempe" était la plus délicate : tout manque d'attention de l'ouvrier conduisait à la perte irrémédiable de la toile.
L'intérieur d'une blanchisserie restaurée à Mescoat (Finistère)
(https://www.terra.bzh/le-kanndi-de-mescoat-renait-grace-la-tenacite-dune-poignee-de-passionnes)
Au terme de cette immersion prolongée, on procédait au lavage dans les "doués". La toile lavée à plusieurs reprises était battue à l'aide de battoirs de buis, puis placée sur l'étendoir. Ces opérations se renouvelaient pendant deux ou trois jours.
Revenues du séchage, les toiles étaient à nouveau placées dans les cuves. Au sommet du tas, on plaçait un sac rempli de cendre de bois : "la charrie". Pendant ce temps, dans une vaste chaudière voisine, on portait à ébullition de l'eau, voire de l'eau de chaux. Lorsque l'eau avait atteint son point d'ébullition, on la déversait sur le sac de "charrée"; elle se chargeait alors de potasse et favorisait la lessive.5
Le rouissage du lin et du chanvre.
Les Archives Départementales mentionnent, à propos de Maisdon, une activité de rouissage qui durait une dizaine de jours par an, dans la Maine en amont de Caffineau. Cet autre article du Phare de la Loire (1890) parle d'un mois à un mois et demi, selon la plante.
Le rouissage est la macération que l'on fait subir aux plantes textiles telles que le lin ou le chanvre, pour faciliter la séparation de l'écorce filamenteuse avec la tige. On fait tremper les poignées (bottes) de chanvre ou le lin dans un "routoir" ou "rouissoir". Le terme "rouir" vient du francique "rotjan", qui signifie pourrir.
Peu à peu, ce rouissage par immersion a été remplacé par le rouissage à terre : les andains sont alors exposés à la chaleur et à l'humidité sur le sol. Mais d'après le témoignage d'un membre de l'association Recherches et Découvertes Maisdonnaises, à Maisdon, on pratiquait le rouissage à l'eau :
"Pendant la deuxième guerre mondiale, mes parents cultivaient le lin. Je descendais à la Chasseloire pour le faire rouir dans la rivière, et il était séché dans un four à la Haie-Trois-Sous. Ensuite ma grand-mère le filait avec sa quenouille. Le four a été démoli après la guerre car les habitants du village ont décidé d’empierrer les chemins" 6, raconte Madame SAILLANT.
Le rouissage du chanvre (http://alainlarge.free.fr/site/tixier%20ferteux%20et%20chanvre.htm)
Limitée dans le temps cette activité était très réglementée. Les journaux rapportent régulièrement les arrêtés du préfet dont voici un exemple de préambule tiré du Phare de la Loire du 29 juin 1859 7:
Transcription :
"Considérant que le rouissage du chanvre et du lin donne lieu à des émanations fétides ; que les eaux des routoirs peuvent nuire aux poissons ; et que les matériaux dont on charge le chanvre et le lin sont fréquemment retrouvés dans le lit des rivières dont ils gênent la navigation […]"
suivent 11 articles qui précisent clairement les limites de l'exploitation :
• distance par rapport à la rivière,
• obligation d'une eau vive,
• utilisation exclusive du sable dans le traitement,
• interdiction des pieux ou piquets pour retenir le chanvre,
• nettoyage des effluents…
L'arrêté indique également les peines encourues dans le cas de nuisances avérées :
"Si l'existence d'un routoir est reconnue nuisible soit à la salubrité publique,soit à la navigation, soit à la pêche, il sera supprimé et détruit immédiatement.."
Le broyage du chanvre (http://alainlarge.free.fr/site/tixier%20ferteux%20et%20chanvre.htm)
Notes bas de page :
1 Extrait du travail de la Commission Environnement de Saint-Lumine-de-Clisson (2016)
2 Recueil de textes de l'abbé Trochu (p. 87 et 88)
3 Extrait du travail de la Commission Environnement de Saint-Lumine-de-Clisson (2016) et Annales de Nantes et du pays nantais (n°212, 2è trimestre 1984)
4 https://books.google.fr
5 Extrait de Toiles de Bretagne, La manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac (1670-1830) Jean Martin (dir.) https://books.openedition.org
6 Association Recherches et Découvertes Maisdonnaises.
7 Arrêté du Préfet de Loire Inférieure du 29 juin 1859. Paru dans La Phare de la Loire (AD44)
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